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samedi 15 octobre 2016

Le Jugement

La Parole d'Or
Ou l'Enigme de Madaure

Les dessous de table kabyle… La table imaginaire est sans doute un excellent outil mais ô combien difficile à gérer, surtout lorsqu’on est dans es petits souliers. Métamorphoser la table de multiplication en une « table kabyle » est une chose, la faire fructifier en est une autre. C’est donc un véritable défi que l’on essayera de relever petit à petit, sans trop forcer. On commencera par une scène tout à fait banale : le repas du soir, à table comme des grands :)

Cette « table kabyle », on va la placer à Alger, avec en guise d’accompagnement un tube chaabi, presque kabyle puisqu’il est algérois, de feu Dahmane L’Harrachi. En voilà un maestro, non-Kabyle mais avec un prénom plutôt kabyle, qui a gagné le respect de beaucoup de Kabs. Les paroles sages du barde sonnent comme un rappel à l’ordre, pour celui parmi les « passagers » de cette même table qui rêverait de l’élixir de l’éternité en guise de sorbet ou le bonimenteur qui promet à l’assistance de graver son nom dans l’histoire par ses œuvres et faits : denia nass-ha rehala, yak l’weqt wu zman qsir ; ch’hal djazou qeblek redjala, ghir li yqul nef3al wen dir (nous sommes que des passagers dans ce monde, notre temps et notre époque sont éphémères ; ô combien d’hommes d'envergue t’ont précédé (dans ce monde) avec la même promesse de conquérir l’histoire, l’éternité par leurs grandes actions et œuvres immortelles). Et le verdict : lekhbar y-jibouh twalla (littér. les informations – le verdict – sera rapporté par les derniers) qui signifie que le temps est le seul juge, que la vie donnera raison ou tort à l’homme ambitieux dans ses intentions, dans ses promesses et même dans ses actes. Un adage algérois très souvent repris en kabyle, sans traduction. Les ambitions démesurées de l’homme sont vaines devant l’Eternel : qu’adviendra-t-il de nos paroles avec le temps, des siècles et des siècles après ce repas autour d’une table, lorsque tout l’entourage aura disparu ?


On va s’intéresser à un seul mot : twalla « les derniers » en argot algérois, surtout qu’on est à table ! Talli c’est la fin, le temps du bilan : c’est thagara en kabyle, anegaru ou amegaru « le dernier » en kab ayant été rapproché du grec mégalo « grand » dans le billet récent (Le dernier messager). TWL de twalla « les derniers » en algérois est en lien avec TWL tawila « (la) table », tawil « grand (long, haut) » en masri-arabe, et le Moh Twill « Momo le grand/longiligne » en algérois équivaudrait à Moh Talla « Momo de la fontaine » en kabyle. On est probablement en présence d’une interférence de tous ces termes avec « Taille », taglia en italien (comparez à tagara « la fin » en kab), surtout en regardant la table dans le sens de la longueur. Voilà ce qu’il faut savoir au départ en matière de proximité phonétique et/ou étymologique des termes correspondants.

Mais qui sont ces « derniers » qui apportent le verdict, la nouvelle, bonne ou mauvaise en conclusion d’une discussion ou d’une promesse donnée durant la causette autour d’une table ? Ces « derniers » doivent forcément être témoins des faits et avoir assez de temps ou de recul dans le temps, et/ou aller plus vite dans l’espace et dans le temps, beaucoup plus que ceux auxquels se rapporte leur verdict ou leur nouvelle, pour trouver ce « dernier mot (verdict) », cette « nouvelle », donc l’avenir tout simplement qui infirme ou confirme ce qui a été dit au présent devenant passé par la force des choses, du temps plus exactement. Ces « derniers » doivent forcément avoir des ailes car marcher n’est pas voler et au moins des plumes, enfin c’était le cas au bon vieux temps. Voici qui les hypothèses concernant la signification des « derniers », les Twalla évoqués par le barde algérois (la version la plus probable vous attend au dernier paragraphe) :
Twalla « (les) derniers » = (les) Historiens
Un historien, depuis Hérodote, est par définition celui qui rapporte les faits et paroles des hommes du passé, celui qui les juge d’une certaine façon – c’est lui qui a le dernier mot sur ceux qu’il évoque !, et il est, bien entendu, celui qui écrit l’histoire, jadis avec une plume, celui qui la grave ou l’enregistre dans la mémoire collective des hommes du présent.
 

Seuls les hommes qui ont marqué l’histoire ont droit à ce privilège, à ce « présent » permanent dans la mémoire des hommes. Ou bien leurs paroles, celles des poètes plus exactement. Cette marque est une lettre phénicienne en forme de croix dont la valeur phonétique exacte est sauvegardée justement en Nordafe et elle ressemble à s’y méprendre à TWL de table :
Taw (X) « marque, ici, maintenant » en phénicien : tawa « maintenant » en argot tunisien, thuwra « maintenant » en kabyle. Notre table serait-elle le « présent » ? Vraisemblablement, à l’heure plus exactement.
Là on va regarder notre table avec un regard tout neuf. Deux cas de figure envisageables sont clairement identifiés : le premier, on va l’évoquer en bref, est celui qui veut que ces « derniers » ou ceux qui ont le dernier mot, seraient tout simplement des poètes, les ciseleurs du verbe ou les maîtres de la parole (awal en kab). Le deuxième, plus facile à comprendre, se résume à une scène notoirement connue : La Cène de Léonardo de Vinci, le dernier repas (secret) de Jésus avec les 12 apôtres. On peut désormais l’interpréter autrement à la lumière de ce que l’on vient de voir. Premièrement, il est possible que cette scène indique une heure précise : 12 heures de minuit. Deuxièmement, et là encore c’est une hypothèse probabel, ces apôtres ou apostolos « envoyé » en grec, les « derniers » porteurs de nouvelle, ont des ailes car ce sont tout simplement des… pigeons (colombes) :
Twalla « (les) derniers » = apôtres, apostoles « envoyés » = ithvir « pigeon » en kabyle.
Le terme « (la) poste » serait né de l’apôtre du pigeon voyageur. Le pigeon kabyle, ithvir, est porteur de notions « information, informateur, envoyé », voire même de « espionner », un as de la communication ! C’est peut-être le cas pour Tyr en kab, ta1ir « oiseau » en masri-arabe, et chose anecdotique, bird « oiseau » anglois pourrait s’apparenter au barid « (la) poste » en masri-arabe ).
 

Toujours dans cette même hypothèse, on peut supposer également que ces « derniers » soient des notaires qui rédigent un testament (dans le droit), un testament politique ou religieux (vieux, nouveau). On ne peut non plus écarter une autre supposition quant aux apôtres : sculpteurs et autres artistes capables de fixer à défaut d’immortaliser un instant de la vie ou de « grands hommes » au moyen de tableaux, de monuments, etc. Mais rien n’est éternel sous le soleil, ces œuvres ne peuvent représenter une mémoire impérissable. Là où les hommes ont échoué, les « messagers de Dieu » ont réussi grâce à ces mêmes hommes et à leur imaginaire : seul le divin serait éternel ou plus précisément la parole divine.
Le verbe, la parole ne sont-ils pas tout aussi éternels ? Quelle est la durée de vie d’un mot, d’un verbe, ou d’une phrase proverbiale ? L’écriture a-t-elle pérennisé les « produits » de la langue humaine ? Si oui, l’alphabet est alors… une prophétie et les lettres des apôtres.

Thalla de Madaure
Maintenant voici la version la plus plausible concernant la signification des twalla « derniers » du barde algérois. L’explication est dans Thalla « source, fontaine » kabyle, dans la racine du terme, plus exactement dans le verbe /WL/ en kabyle, et cette piste corrobore celle évoqué dans le billet Momo le Rital pour l’homme de le la Renaissance.
/WL/, /GL/, /QL/ de welli, ughal, uqel « 1.retourner ; 2. devenir (changement, transformation) en kabyle, repris en algérois pour welli « retourner », le terme correspondant en masri-arabe étant ardja3 « retourner, devenir ».
Ces twalla « derniers » seront des hommes de la Renaissance, et sur le plan religieux, les hommes de la Résurrection (des justes ?), voire ceux du dernier jugement, de la rétribution, le jour du jugement dernier, comme sur le tableau de l’homme de la Renaissance (italienne), Michel-Ange, ou celui de Fra Angelico sur l'image d'illustration.
 

Sur le plan rationnel, si j’ose dire, non-religieux en tout cas, de « retour » serait plus un « devenir » (welli, ughal, uqel), c’est-à-dire une Métamorphose, chose qui s’accorde complètement avec Thalla « (la) source, fontaine », les sources d’eau étant très souvent apparentés aux divinités, à la métamorphose, à la magie et ce quasiment dans toutes les cultures. Et là, à ma très grande surprise, le nom de la ville de l’auteur des Métamorphoses et avocat, Madaure (de nos jours M'daourouch) semble détenir un certain secret et une probable relation avec ce que l’on vient de voir. Madaure – synonyme de jugement-métamorphose ? Ou de tribunal ? Apulée ne serait-il pas un Moh Twill ou Moh Talla ? Ne s'girait-il pas de Parole d'Or (éternelle) plutôt que d'âne d'or la vraie métamorphose d'Apulée ? C’est désormais l’énigme du nom de Madaure que l’on essayera d’expliquer un de ces quatre.

Ainsi se termine ce billet, qui est d’une certaine façon un hommage au barde algérois apprécié en Kabylie, le regretté Dahmane L’Harrachi. Peut-être qu’un jour nos jeunes talents traduiront et adapteront au kabyle ses œuvres les plus connues, plus que compatibles avec les œuvres des grands maîtres de la chanson populaire (chaabi) kabyle. La métamorphose (la traduction, par exemple) étant une autre forme de vie de l’œuvre du barde disparu.