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mercredi 10 août 2016

L'Homme et le Temps

L'Autre Création

Thalla – à priori on a affaire à une notion d’espace pour Thalla, mais en réalité la notion de temps est toujours à proximité. A vrai dire, Thalla, « la source/fontaine » en kab, nous a ouvert le chemin vers de nouveaux horizons à exploiter. Chose pas facile au début, mais qui nous permettra d’avoir un regard tout neuf sur la langue kabyle, sur la toponymie kabyle et sur le patrimoine immatériel kabyle en général.

Ainsi, par exemple, certains indices laissent penser que les consonnes aspirées en kabyle comme G, K, TH, peuvent remplir les fonctions de voyelles. Mais notre intérêt est tout autre aujourd’hui… Ne dit-on « qui se ressemble s’assemble » ? L’assemblé du peuple d’un village ou l’agora de chaque division de village kabyle (thajmayth) ou même le temple (l’djama) nous renvoient, outre l’interférence avec le masri-arabe GM3, à la notion de fraternité, frères. Reprenons un peu le lexique correspondant kabyle :
GM : gma « (mon) frère » au singulier ; ThM au pluriel athmathen, ayethma « frères, (mes) frères, confrères » ; Ath, Aït désigne la famille, le clan, etc. (De/Del en fr./it.) mais c’est aussi un préfixe toponymique dont le sens reste à démontrer.
WLtM : weltma « (ma) sœur » au sing. ; yesethma, thisethmathin « (mes) sœurs, les sœurs », Suth étant la forme féminine du masculin Ath, Aït.

Tout est question de sang et de liens de parenté en réalité. Le sang en kab, comme l’eau, est exclusivement au pluriel, idhamen, alors qu’en masri-arabe, en sémitiques, DM dem est au singulier. Voici donc les 3 surprises du jour :
Humain
Le GM de gma « frère » est sans doute comparable au hémo, haima « sang » ;
GM se transforme en ThM au pluriel « frères » pour donner ayethma, athamathen « les frères » qui ne sont rien d’autre que… les humains, l’humanité au masculin pluriel forcément.
Isis
Qu’en est-il des sœurs alors si les frères sont le Sang et l’Humanité ? Elles ont du cœur, les sœurs et en kabyle le UL/WL de « cœur » est aussi dans la sœur (fém.sing.) WLTM. C’est à mon sens une notion de temps et de proximité : la sœur serait un cœur mais un cœur spécial : wl-tm « cœur du temps ». Le kabyle TM thama, tsama « à côté, à proximité » serait peut-être ce Temps ; le masri-arabe qarib « proche » et qalb « cœur » sont à apparenter ; le russe krov’ « sang » serait comparable au qarib en masri-arabe ou aqriv « un proche », qriv « presque, prochain » en kabyle. En masri-arabe ukht « sœur » s’alignerait sur weqt « temps », voire même avec le kab weth, kath « battre » donc battement (du cœur, du temps) synonyme de décompte/compteur du temps ; à se demander si Horloge ne devrait pas s'écrire Cœurloge... Enfin bref, autant d’indices qui vont dans un seul et même sens. Voici le premier intérêt de cette construction logique :
Isis la « sœur » et « épouse » d’Osiris renvoie à une notion de temps à coup sûr, l'Heure peut-être On y reviendra une autre fois avec plus d'éléments de réponse.

Adam
Ce n’est pas Osiris et Isis, mais une autre version plus récente cette fois : Adam et Eve. Le mythe de la création d’Adam, de l’homme, doit désormais être également interprété comme une très ancienne parabole sur la création du Temps, le tout premier moment où commença le temps.
 

C’est là que commence le débat plus philosophique que scientifique : l’homme, le sang humain qui coule dans ses veines, ne serait-il pas le temps ? Jusqu’à preuve du contraire, le temps est compté (limité) à l’homme dans ce bas monde faisant de celui-ci un « commun des mortels », tandis que l’Eternel ou les dieux des anciens étaient hors du temps, càd qu’ils n’auraient pas de cœur, pas de sang. Autre question : normalement l’homme est la seule créature à compter le temps, à le mesurer très exactement, alors le Temps peut-il exister sans l’Homme ? Je le supposais qlqs mois en arrière sur ce blog, le Temps serait une forme d’intelligence indissociable de l’homme, là je me demande si ce n’est pas l’homme lui-même le temps ou le produit de sa création ou celle de son Créateur. Enfin bref, autant de questions qui donnent à réfléchir… 

Michelangelo, Michel-Ange, l'auteur du tableau de la création sur l'image, serait, on l'a vu dans le billet Momo le rital, associé à Thalla. Rien de surprenant en fait... Allez, à prochainement !

mardi 2 août 2016

DE LA FONTAINE

Thalla, la mère d'Esope

Thalla, sans doute la pièce d’identité méditerranéenne par excellence de la Kabylie. On reste toujours dans le domaine de l’hypothèse, bien entendu, mais à peine si l’on peut douter du bien-fondé de nos suppositions concernant Thalla « la source/fontaine ». 


On l’a vu dans le billet précédent, Thalla nous renvoie au tombeau vide, à la muse, au musée, mausolée, etc. On n’aura probablement pas tort non plus d’aligner Thalla sur le grec Thalassa « mer », ou sur Gaïa (déesse mère des anciens Grecs), sur la notion de temps, temple et sur la notion de bains/source thermale car thalla c’est aussi ça comme l’atteste le conte a-3aqa yissawalen « Le grain magique ». Cependant, cette fois nous allons prendre le chemin de l’imaginaire, et vous allez voir, le terme Tales « conte » en anglais est un proche parent de Thalla « la source/fontaine » en kabyle.

Petit rappel. Thalla est exclusivement réservée à la femme. Thalla possède son 3assas « sentinelle, ange-gardien » (rationnellement, en toponymie, c’est un repère, un indice de direction, peut-être un point cardinal) ; une créature imaginaire lafaa « vipère, hydre, serpent des eaux » ou thallafsa « hydre » y habite. Et la mythologie kabyle commence très souvent par Thalla, c’est la première image du film kabyle, de la parole kabyle… Il faut planter le cadre avant d’aller plus loin : toujours à l'ombre, la source est creusée dans le rocher, un réservoir-tombeau est aménagé autour de la source d’eau potable, le trop plein du réservoir donne sur a-saridj « petit bassin qui sert d’abreuvoir ». Lorsque le soleil disparaît derrière l’horizon, Thalla de l’imaginaire prend quartier, le mythe kabyle peut commencer, la parole kabyle coule comme un long fil d’eau de la bouche et par la voix des femmes de Thalla, les gardiennes du patrimoine kabyle qui murmurent et chuchotent le monde aux oreilles de leur progéniture. C’est l’école des femmes, la fabuleuse alma mater de l’enfant kabyle, qui apprend à étancher sa soif de savoir et à cultiver sa curiosité, la cognition. Thalla, chaque soir que le bon Dieu fait, se métamorphose en mer de paroles à boire. Après l’inévitable Machaho tellem chaho, le récital peut commencer :

http://dardel.info/LaFontaine/LaFontaine_Rigaud_big.jpg
« …le noble jeune homme (chevalier) s’approcha de l’abreuvoir (a-saridj) de Thalla pour désaltérer sa monture. Mais une surprise l’attend : une th-amghar-th « vielle femme » acariâtre comme il n’est pas permis plonge sans cesse son « tonneau des Danaïdes » dans le bassin-abreuvoir pour puiser de l’eau… Excédé par cet étrange spectacle, le jeune chevalier s’adressa à la désagréable vielle dame sur un ton martial : « Eloigne-toi, bonne femme, de l’abreuvoir et va te chercher un seau non-troué. Tu ne vois pas que t’as une passoire entre les mains ? ». Il n’en fallait pas plus pour que la vielle dame aux airs de sorcière – après tout on est à Thalla – réponde sur un ton provocateur « Jeune chevalier, au lien de t’en prendre à une vielle femme, si t’es un homme brave, va lors libérer la belle (Lounja), enlevée par les ogres ? (NB : Là je ne suis pas sûr de quelle créature parle-t-on exactement, sans doute une version kabyle de jeune fille enlevée par un dragon chez les autres) » Le jeune chevalier n’a d’autre choix que de relever le défi, et ainsi commence l’aventure semée d’embûches et d’épreuves pour notre héros et ses compagnons, les mythiques i-menayen « les chevaliers/cavaliers » sur des chevaux d’éclair et de vent qui finiront par faire triompher le bien sur le mal, la beauté sur la monstruosité, et notre héros ramena sa belle pour en faire son épouse. Happy end sur toute la ligne, en somme ! ». On est toujours dans l’imaginaire et qlq part dans la dramaturgie avec les femmes de Thalla…

Revenons à la réalité, question de trouver des preuves palpables pour Thalla. La toponymie kabyle, voilà le cadre réel qui expliquerait le sens de ce terme. Thalla est assez souvent utilisé comme préfixe d’un toponyme (ex. Thalla Athmane). Mais sur le terrain, que voit-on ? Thalla est toujours en dehors des habitations, càd éloignée des villages, du centre-ville disons. Et là on se rend compte que Thalla aurait une autre version, un autre terme qui atteste justement cet éloignement. Pour faire simple :
Thalla ~ tha3zivth (Taazibt), la3ziv « lieu éloigné du village, du centre-ville ».
Et il existe un toponyme concret d’un lieu situé entre Boumerdès et Tizi-Ouzou, en l’occurrence La3ziv (en kabyle) ou Naciria pour sa version officielle présumée arabisée. Pour avoir une idée précise, rien ne vaut mieux qu’une comparaison avec la version grecque et/ou latine :
Thalla ?, La3ziv ~ Exode, Exit, Sortie
Et maintenant l’on comprend mieux le lien entre le conte (mythe, tale) et Thalla :
1) Taqsit, taxite « conte » en kabyle n’est pas un emprunt au masri-arabe qisat « conte », mais il interfère tout simplement avec Exit « sortie » en latin, exode, etc ;
2) La3ziv (ta3zibt) en kabyle ~ Esope, le père de la fable grecque.
Et là, un personnage réel français (présumé comme tel en tout cas !), Jean de La Fontaine, père de la fable française, prend le nom de Jean Talla (en kab), Jean Esope. De quoi nourrir le doute sur l’existence réele d’un tel personnage, du moins de son vrai nom


Esope, on le sait, n’était pas beau et en plus c’était un esclave (un akli donc en kab). Sa laideur est aussi légendaire que sa sagesse. Esope ne serait-il pas un mendiant ou un barde ? La logique du kabyle et d’autres langues voudrait qu’il soit alors « vieux et sage », car le jeune est souvent associé au « beau et belliqueux ». En réalité, en kabyle, outre la3ziv, il y a un autre « terme d’Esope », un adjectif : XF ou GZF de ghuzif, ghezif, aghezfan « long » (taille). Est-ce un indice de laideur ? C’est peut-être un indice d’une origine géographique (Exit), plus précisément ghezif désignerait un « occidental », « du couchant », ou voire même avec assif « rivière, fleuve » en kab. Mais ça, c’est pour La3ziv.
A l’opposé, le terme kabyle Thalla pourrait indiquer carrément l’inverse : anatolé « Levant, Est » en grec, ce que le fr. et esp. De La Fontaine, De La Fuentes pourraient corroborer. Rappel, Thalla aurait un lien direct avec la notion de longueur (taille) : Muh Talla (Momo de La Fontaine) en kabyle est celui qu’on désigne Muh Twill (Momo le Long) en argot arabe algérois, qui serait aussi un « Italien », pour la Renaissance : Michelangelo, Michel-Ange, serait aussi un génial « canon de laideur » comme Esope. Et là on n’a l’impression que d’autres « illustres personnages » des Ecritures se cacheraient à cette même « enseigne » (Thalla), sans pouvoir pour autant pouvoir le prouver pour le moment. Et pourtant ils sont là ! 

Et puis, Esope avait-il eu une mère qui lui aurait appris les fables ? Là aussi, impossible d'y répondre. Pour le moment, c’est la mer à boire. Quoique Esope pourrait bien se révéler être une créature mythique ayant pour mère Thalla ou l'hydre Thallafsa...