Translate

mardi 13 septembre 2016

Le Bélier

Jours de Kabylie au singulier
 

De tous les jours que le bon Dieu fait, il en est un qui mérite qu’on s’y attarde, d’autant plus qu’il est accompagné d’un rituel de plus en plus contesté par nos contemporains, épris d’humanisme et/ou indignés par une « tradition d’un autre âge ». Vous l’aurez compris, il est question de l’Aïd, fête présumée musulmane, célébrée y compris en Kabylie…

Ah la Kabylie d’antan, ah le bon vieux temps ! Quarante ans en arrière, la Kabylie était un havre de paix. La Haute-Kab’ était comme un Etat du sud des US : des Kabs confédérés traditionnalistes, conservateurs, jaloux de leurs traditions. J’en garde encore quelques souvenirs en rapport avec L3eyd tha-muqrant (l’Aïd major), que je vais essayer de vous relater en bref, le but étant de comprendre l’origine de cette tradition et son rôle social, etc. Ce sont des souvenirs d’enfance, bien entendu :)

https://i0.wp.com/www.inumiden.com/bab/wp-content/uploads/2015/05/Aksel1.jpg?fit=720%2C464&ssl=1

Les Phalangistes
Jusqu’à un certain âge, lorsqu’un adulte de la famille, le vénérable Dda Vussadh en premier, me prenait encore par la main pour aller au Souk le jour de l’Aïd (un jour de grande foire), je trouvais « normale » cette tradition du sacrifice le jour de l’Aïd. Je me rappelle même qu’il était d’usage chez les garçons « enaïdés » (accoutrement des grands jours, des fêtes de l’Aïd) de se fabriquer une perche en roseau avec, je crois, un bout de tissu blanc à l’extrémité. Une équipe de garçons « phalangistes » se forme et commence alors le concours de celui qui aura plus de « trophées » à son compte : cela se résumait à démarcher les maisons du voisinage où le mouton était sacrifié et y prélever, en plus des bonbons offerts, le sang de la bête sacrifiée avec le tissu accroché au bout de sa perche. Il fallait au moins 7. Drôle de tradition que je ne m’explique pas, c’est peut-être un peu de Halloween à la kab’…


Les actionnaires mineurs
Puis à partir d’un certain âge, en vrai digurdi (dégourdi) qui entame son adolescence, cette tradition de sacrifice me paraissait de plus en plus étrange d’autant plus qu’elle donnait la nausée au vieux, et le rapport à ces festivités changea naturellement. Avec le recul, c’est plus le rôle social et économique de cette fête qui me paraît plus intéressant à étudier par qui de droit. Pour ma part, je me demandais à l’époque, pourquoi bon sang !, dans les maisons traditionnelles kabyles il y avait de place à une étable pour justement l’agneau du sacrifice ? La réponse est astronomique, je la dévoilerai à la fin de ce billet. 


Les petites bourses, les Kab’ modestes, en vraies fourmis, s’achetaient deux agneaux en temps opportun chez les pasteurs arabophones venus des Hauts-Plateaux, gens honnêtes et qui ne faisaient jamais de prosélytisme ou quoi que ce soit faut-il le dire, à l’époque en tout cas. Des éleveurs qui ne parlaient pas un mot de kab, et les Kabs clean pas un mot d’arabe. Alors comment les gens faisaient pour se comprendre ? La réponse est simple : les chiffres (de la transaction) sont désignés de la même façon dans les deux langues. Comme quoi le commerce, accompagné de chiffres (de poids, mesures, prix), assurait une relation de paix entre deux camps différents. 

Les Kabs aux revenus modestes, la majorité à l’époque, en bon investisseurs, achetaient donc 1 agneau de sacrifice et 1 agneau d’amortissement de celui du sacrifice et des frais de cette fête en général. Deux actions pour une. Le temps faisant, plus l’air, l’eau, le soleil et la photosynthèse aidant, les agneaux prennent du poids, certains sont bien engraissés même. La graisse et surtout le poids comme valeur ajoutée de l’action achetée des mois avant le sacrifice.

Le plus incrusté des souvenirs reste celui du « Wall street » ou comment vendre son agneau (devenu avec la plus-value, bélier)-action. Le vendeur est un lève-tôt, c’est sûr, le chaland, lui, est comme une cigale : il vient en chantant et quand ça lui chante. Plusieurs petits actionnaires sont guidés par un « imseweq » (négociant) chargé de veiller au grain. Ainsi, à l’aube, des gamins guidant leurs béliers-actions suivent en bons soldats et au pas les « généraux » en toge blanche (avernous, burnous), leurs protecteurs chargés de mener à bien la mission. Comme feu Dda Raveh, Kabyle blanc au sens propre comme au figuré, qui incarnait l’autorité par définition, un vrai général. Comme le général Lee :) 

Une fois sur place, c’est carrément « Wall street », où viennent d’abord les courtiers et autres intermédiaires pour casser le prix, mais une parole de notre général Lee suffisait pour les faire déguerpir : le commerce pour un Kab’ clean, c’est du commerce équitable par définition, on bottait le cul jadis aux escrocs et autres usuriers. Le chaland tant attendu arrivera sur les coups de 10-11 heures, après avoir cassé la croûte. Le rôle du digurdi petit et actionnaire était de tenir son bélier-action et de se la fermer, et surtout observer comment ça marche. L’école des hommes version kab. Entre temps, ces dégourdis apparentaient tous ces acteurs, généraux et négociants, à des personnages, souvent excentriques pour rigoler un coup et donc décompresser, comme s’il s’agissait d’un livre. Ainsi, par exemple, et je ne sais plus si c’est vrai ou faux, feu Dda Mo’, aussi excentrique que sympathique, aurait, disait-on, préalablement préparé à la vente son bélier, comme si c’était une bagnole, en le lavant pour, croyait-il, le vendre plus cher :)) Mal lui en a pris car il est rentré avec son bélier après le marché. Sacré Dda Mouh ! Vous imaginez un peu ? Un mouton blanc qui a tout d’un mouton noir ! C’est là, dans ce brouhaha indescriptibe digne des Bourses modernes,  que l’on apprend à observer, calculer, à se faire petit pour voir grand et, avec le temps, paraître grand. C’est une vertu kab' que j’ai gardée depuis ces temps, et tout celui qui débite sans raison me paraît indigne de confiance :))

Le jour de l’Aïd major, c’est la fête du partage et de solidarité avec les plus démunis (une épaule ou un gigot d'agneau leur revenait de droit), de la famille (un peu comme Thanksgiving), lorsqu’on rend visite aux proches, y compris ceux disparus. Autre drôle de tradition, c’est l’échange qui a lieu au petit matin le lendemain de la fête du sacrifice, lorsque chaque famille délègue son digurdi avec son panier, ensuite tous ces paniers sont vidés sur une natte pour être ensuite redistribués plus ou moins équitablement parmi les digurdi : comme si on était sur Ebay après la Noëlle avec des cadeaux inappropriés mis en vente (les Kabs old school ne vendent pas, ils échangent). Et tout ça, dans le cimetière du coin. Se trouvera-t-il quelqu’un parmi nos spécialistes pour nous expliquer cette tradition ? Elle est peut-être révolue depuis, je ne sais pas.


BELAID
Aujourd’hui, hélas, la Kabylie est la cible des khorotos et de leurs islamistes. Ce qui pousse, et c’est compréhensible, une frange de la population kabyle à renier en bloc tout lien avec ce loup déguisé en agneau. Mais renier en bloc ses traditions juste parce qu’elles interfèrent avec celles d’un environnement belliqueux et ouvertement kabylophobe serait une erreur, le mieux serait de ventiler et de détacher le contenu kab’ de ce pot commun encombrant. Chose étrange, jamais cette fête n’est évoquée dans les chants kabyles, à la différence de Tiwizi par exemple…


Maintenant la maison kabyle, ou plus exactement l’habitation kabyle. La clé, les réponses à nos questions sont là. Il nous faut un ouvrage de référence en matière de toponymie kabyle, d’architecture kabyle, etc. L’architecture kabyle justement. Je vais faire vite, soyez attentifs.
ZDG de zdegh « habiter » en kab est le Zodiaque, on l’a démontré sur ce blog.
Adaynin « étable, écurie » au sens propre, serait notre équivalent de la « crèche » (de Noël) sur le plan religieux.
Axarfi « mouton, bélier » (kabsh en masri-arabe) du sacrifice est le Sacrifice. Ce même terme est usagé  en kab pour les figues (lexrif) et en kab + en masri-arabe pour l’automne (lexrif, al-kharif).
Son opposé en architecture est Aguns « (salle de) séjour » : c’est le terme latin Agnus « agneau », l’agneau pascal (équinoxe de printemps quasiment), ça va aussi dans le sens du sacrifice. Le féminin de Aguns « séjour » est Thawenza « le front, la destinée ».
Bélier vs Aguns : ce sont deux constellations, deux signes du zodiaque aussi, on a ici des notions d’EQUINOXE : Aguns « séjour » sera la Balance : Libra en latin est en lien direct avec Ibrahim, Abraham , personnage syncrétique lié au sacrifice justement.
Balance qui est justement à l’opposé du Bélier. L’équinoxe de printemps ou d’automne dans la Balance ou dans le Bélier : c’est 2000 ans en arrière ou même plus, car logiquement Axerfi (Bélier du sacrifice) s’alignerait sur Lexrif (automne, équinoxe d’automne), et son opposé, la Balance à l’équinoxe de printemps : c’est 13 000 ans avant notre ère ! Je suis plutôt réservé sur cette hypothèse… Il est probable que aXerfi (Bélier) ou le adaynin « étable » soit en lien avec un autre symbole du zodiaque égyptien ancien : le Scarabée, le bousier d’accord, mais un porte-bonheur, porte-chance quand même. Et Thawenza « front, destinée », en lien avec l’agneau, c’est aussi la Chance. 


Donc l’origine de cette fête (Aïd) remonterait à un temps très lointain, en tout cas antéislamique et antérieur à toutes les religions monothéistes : c’est l’immense Egypte ancienne qui serait derrière tout ça ! Je pense que probablement cette fête de L3eydh tha-muqrant (Aïd major) serait ce qui est devenu ailleurs la fête de tous les saints, la Toussaint (Halloween), surtout lorsqu'on a le terme Thawenza de notre côté !


Toujours est-il que l’explication devrait se trouver dans l’architecture kabyle, dans l’habitation kabyle, un calendrier astronomique très ancien. Ta3richt « soupente » (en bois, surmontant l’étable, le Bélier) serait liée au latin Aries (Bélier). Anyir « front » (syn.de thawenza) ne serait-il pas comparable à l’agneau ? Derrière aguns « séjour » (Balance, Agneau), il y a le métier à tisser (la laine de ce mouton) Azetta : Sagittaire ? Bref, un bon coup de bélier - un coup de chance ? - et on pourra faire la part des choses et nous défaire de ce qui encombre ou fait de l’ombre à notre identité.


Un nom avant de boucler ce billet. Cette fête de l’Aïd a tout de même des traces dans l’identité kabyle : Vleydh ou Bélaïd est celui né le jour de l’Aïd, on suppose, ou plutôt celui né sous le signe du Bélier, je présume désormais. Bélaïd serait simplement Bélier. Trois conclusions :
1) les prénoms kabs devraient donc obéir à cette logique (prénom en lien avec le signe du zodiaque à la naissance) ;
2) on devrait retrouver la trace de l’Aïd en toponymie nordafe tant les patronymes en découlent comme le veut la règle ;
3) Bélaïd est celui né sous le signe du Bélier (ou voire même de son opposé, Balance – à vérifier), c’est un Chanceux, un Fortuné avec une bonne Thawenza. Ce qui me laisse penser que l’on peut désormais expliquer une tradition non pas kab mais des frères Chaouis qui s’essuient le visage avec la peau de mouton de l’Aïd : c’est le front qu’ils s’essuient, thawenza « front, destin » à la recherche de la Chance et de la bonne fortune ou... d'une odeur de sainteté (dans la peau de l'agneau de Dieu?) (si, bien sûr, Thawenza s'accorde avec la notion de Toussaint).


A prochainement !