Le Spleen des Esthètes
Quand et par quoi commence la
littérature ? N’y aurait-il pas un temps pour tout : le jour pour les
beaux-arts, le soir pour les belles lettres et la nuit pour les rêves ?
M’est avis que la littérature commence après le crépuscule, une fois le soleil
couché. C’est au moment où l’obscurité son espace que l’homme s’est inventé les
Lumières et pas seulement les torches et lanternes, surtout en l’absence de
clair de lune. C’est d’ailleurs le cas pour les contes pour enfants en
Kabylie : les mythes sont contés exclusivement le soir par la femme
(maman, grand-mère, tante) aux galopins rassemblés autour du feu de l’kanun
« âtre, foyer », ou bien autour de l’azetta « métier à
tisser » en hiver, et plus rarement lorsque l’enfant est au lit comme il
se fait de nos jours à peu près partout, sinon jadis en Kabylie, seuls les plus
petits au berceau (qui n’ont donc pas encore appris à marcher et à parler)
bénéficiaient du privilège d’écouter la berceuse, le chant des mères.
NUIT
A quel moment commence la littérature,
du moins l’un de ses genres : le conte ? Au moment ou la lumière du
soleil disparaît et laisse la place au clair de lune (qlqs fois), à la voûte
céleste avec ses brillantes étoiles et à la lumière artificielle inventé par
l’homme qui autant besoin de voir son monde que de l’imaginer, sinon il se
perdrait au sens propre et au figuré dans ce vide que forme l’obscurité et
l’ennui de la nuit sans lumières – question d’équilibre. Les Lumières, c’est
avant tout une image ; le feu ou la lanterne du soir, c’est avant tout une
image, une icône. La balance de l’homme des Lumières : nuit (éclairé) d’un
côté, jour (ensoleillé) de l’autre ; l’imaginaire vs le réel. La
littérature, le conte du moins, est une image avant tout, une image qui
illumine la nuit des hommes. La littérature, les belles lettres seraient accrochées
à la voûte céleste, le terme kabyle ithri-ithran « étoile(s) » en
serait la preuve étymologique peut-être.
Il y a une œuvre littéraire au titre
très évocateur pour celui qui sait le lire : « Mille et une nuits » (« mille contes » en persan), dont l’origine, nous
dit-on, serait arabe-persane-indienne, ce qui serait une insulte à l’Egypte
ancienne, à la Méditerranée et au bon sens tout court. On l’a déjà supposé sur
ce blog, certains personnages du « Livre des mille et une nuits »
seraient comparables à des personnages égyptiens anciens très connus :
Aladin à Toutankhamon, Shérazade à Néfertiti. En outre, Sindab le marin, on
verra une autre fois pourquoi, serait un Sindbad le jeune (un moussaillon
peut-être) via la logique kab de a-méziane « le jeune, cadet, mineur »,
et Ali Baba trouvera son explication dans nos toponymes kabs et nordafs. Comme
quoi l’étendue des origines de ce livre traduit en arabe dépasse de loin ce que
l’on pense généralement. Revenons au titre de ce livre justement que je disais
évocateur. La logique suggère que le « Livre des mille et une nuits »
serait simplement un « Recueil de mille et une nouvelles
(fantastiques ?) », un genre littéraire, ou peut-être même
« Recueil de toutes les nouvelles du monde (entier, de l’époque) »
pour cause de 1001. Toujours est-il que la Nouvelle (genre littéraire) est dans
la Nuit.
LIT DES HESPERIDES
On le sait désormais, la littérature est
à rechercher du côté du couchant, l’inspiration est toujours une conquête de
l’ouest. On sait que le couchant est toujours un exode, une sortie (du
soleil) ; là cette sortie devient une échappée : on sort pour échapper
à l’ennui, à l’obscurité, à la nuit, etc. Le soleil est derrière l’horizon, on
s’arrête normalement, mais l’envie de voyager ne quitte pas l’homme après le
crépuscule, alors il s’est inventé la littérature pour voyager sans bouger, pour
fantasmer dans son environnement intime sur le monde connu et inconnu, pour
meubler ses nuits de son imaginaire fécond, pour souvent pervertir la réalité
en diabolisant ou, à contrario, en idéalisant le monde suivant qu’on soit un
pervers ou un esthète.
Je crois que ce que nous appelons en
kabyle asefru-isefra « poème(s) », la poèsie donc, serait peut-être
en lien avec d’autres mots dans d’autres langues, par exemple avec Inspiration,
les Hespérides à l’ouest justement, au safir « voyage » en masri-arabe,
c’est donc un genre nomade, un métier de bardes. Mais c’est surtout la literie
qui me préoccupe) Le lit, ussu en kab en lien avec ness « passer la nuit,
bivouaquer, éteindre (les lumières) », mensi « dîner », serait
peut-être tout ce qui a de plus littéraire car il symbolise le sédentarisme.
L’intérêt ? Il est simple : si Thiziri « clair de lune »
symbolise les Lumières, la Renaissance et est étroitement liée au nom d’Alger,
ness, ussu de « coucher, lit » est dans le nom Thunès, de Tunis-Tunisie,
d’où l’intérêt de comprendre la vraie portée des termes correspondants. Thunès
(Tunis, Tunisie) aurait peut-être une signification littéraire, synonyme donc
de lettres, de Lumières (pour Carthage ?). On y reviendra le moment venu.
Maintenant une hypothèse quelque peu
attendue pour l’origine de la littérature tant elle évoque le support des
écritures : une feuille... de thé. Latay ! Le soir venu, après le dîner, c’est l’inévitable infusion
des gens du couchant, le thé à la menthe, le digestif du Maure :) Salon de
thé avec Momo qui demande à « madame de servir le thé » ou un thé au
Sahara, c’est le café littéraire, parfois ambulant :). D’une façon globale, il
s’agit de s’hydrater, le premier pas vers la littérature :) Et la littérature
ne commencerait-elle pas par le cérémonial de préparation du thé ? La
feuille de thé est avant tout une feuille – le support, ensuite elle a du jus –
l’encre, elle a tout de l’outil littéraire. Faut-il alors comprendre que la
littérature serait née en Chine, en Inde ? Pas forcément, tant il existe
des plantes partout pour faire une bonne tisane :) Ainsi, la littérature c’est
aussi ce que doit celui ou ceux qui ont écrit le livre des « Milles et une
nuits » à ceux qui leur ont recueilli les contes populaires durant mille
et une nuits et à ceux qui leur ont cueilli mille et une feuilles de thé pour
en faire une excellente infusion, un chef-d’œuvre !
Il n’y a qu’à regarder l’image ci-dessus
d’un bivouac au Sahara - c'est le café littéraire ambulant pour vaincre le désert intellectuel et tout court - avec la théière de notre frère, si loin mais si proche,
Kel Tamacheq (dit « Touareg »), posée sur les braises pour comprendre
que la lampe merveilleuse des « Milles et une nuits » a tout d’une
théière qu’il suffit de frotter (lui communiquer de la chaleur donc, de la
mettre sur le feu autrement) pour que sorte le djin, le génie de l’inspiration,
de la Littérature. Cette lampe merveilleuse et théière est simplement comme
notre cerveau qui fait du bon « sorbet » intellectuel :)
MOHAND
Je vous laisse en compagnie de D.Allam
qui reprend ici un tube kabyle des années 70 de Youcef Aouhid intitulé « Pauvre
de toi, Mohand ! ». C’est, je métaphorise, l’histoire de Mohand le naïf
qui croyait pouvoir échapper que sa femme (parisienne) « importée »
suffirait pour transformer le café maure du bled en café littéraire (parisien).
On peut imaginer la suite de cette histoire… Mohand est simplement un
romantique en fait, un être cultivé etavec une mentalité évoluée par rapport à son milieu
d’origine (société traditionnelle arriérée). Mohand à l’image de notre intelligentsia
qui aime se faire servir le thé, et pas seulement le thé, par madame, et pas
seulement par madame. La greffe n’a pas pris car au café maure, le brêle côtoie
labruti (l'abruti), c’est le désert intellectuel par excellence, où Mohand l’esthète
est mal vu, malvenu et perçu comme une menace. Ainsi Mohand l’esthète renvoya
sa muse parisienne et déserta les cafés, maure réel et littéraire
imaginaire, pour se consacrer à l’épistolaire et devenir écrivain public pour
les…brêles du café maure. Chaque soir il se désaltère au zombretto pour vaincre
le spleen de celui qui subit une anomalie de l’espace-temps, condamné qu’il est
à partager son espace avec des freros d’un autre temps…