Le Bel Héllène,
Les Peuples de la Mer
Aujourd’hui nous allons voir comment l’on peut démonter deux clichés qui ont la vie dure. Le premier est un cliché populaire, le deuxième un dogme ou une référence scientifique, les deux étant en étroite relation avec l’Afrique du Nord et son histoire.
LA BELLE HELENE
On en a parlé déjà (lire billet « Kaiser Sosie »), du pourquoi de ce cliché kabyle y shvah am u Romi « (il est) beau comme un Romain » (terme élargi au Français, Européen, Latin, etc.) comme le dit avec humour l’artiste Fellag (chrono 1:15). Le terme équivalent du kabyle a-Romi chez les Maures arabisés est « gawri » (Européen, chrétien, Blanc). A quoi ressemble ce terme ? Tout simplement la guerre (prononcé gwerra en espagnol/italien) et au WRG de a-wragh « jaune, or » en kabyle et berbère. Mais pas seulement ! En effet, ce terme maure-arabe gawri va naturellement s’aligner sur un nom kabyle emblématique : Gouraya, terme probablement issu de agur, ayur « la lune, le mois » qui équiavut à Agora en grec.Maintenant reprenons ce « beau » Romain pour comprendre qui est-il vraiment.
Ce beau Romi dans la tradition kabyle renvoie à une croyance, à une divinité ; et il daterait de l’antiquité. Ce terme Romi en kabyle est indéniablement lié aux noms des Grecs… qui se désignaient par Romaioi « les Romains » à la fin de l’antiquité. Le nom « Grec » est celui que le kabyle a conservé dans agour « lune, mois » et le maure dans gawri « Européen, chrétien, etc. ». L’autre nom des Grecs, les Héllènes serait lui aussi lié, tout naturellement, à… la Lune et au mythe de la Belle Helène ou Helène de Troie. Je ne sais pas, peut-être que « Lune » devrait prendre tout simplement le sens de « Déesse », mais il est évident que le mythe de la Belle Hélène nous donne un « déesse de beauté et de la guerre » qui expliquerait pourquoi Beauté et Guerre ont la même racine (Bel, bellum en latin). La relation Beauté et Jeunesse est par ailleurs attesté au sud, en croisant le masri/arabe pour cheb « jeune » et le kabyle sheb’han « beau, blanc ». Ainsi se forme une « chaîne logique »Beau-Blanc-Jeune-Guerrier (belliqueux) en lien avec le mythe de la Belle Hellène (à l’origine de la guerre de Troie) et d’une déesse à antique qui reste à identifier. On récapitule :
Le « beau » a-Romi en kabyle = un Hellène ;
agur « lunes, mois » en kab = lien avec le Grec et avec Agora en grec ;
ayur « lune, mois » en kab = lien avec Ionien (Grec), Yunan en masri/arabe.
La déesse de la Lune ou lié à la Lune la plus appropriée serait Aurore chez les Romains ; c’est Eos chez les Grecs : la sœur d’Helios le soleil et de Séléné la lune (justement, Séléné « lune » épouse de Juba avait un frère appelé Alexandre…Hélios « soleil » !). C’est peut-être le clair de lune, soit thiziri (Césarée ?) en kabyle. Et à la lumière de ce que l’on vient de dire, le « tombeau de la chrétienne » - on suppose que c’est le tombeau de la fille de Cléopatre (une lagide donc Grecque de la période hellénistique en Egypte), Séléné « la lune », épouse de Juba II – est interprété comme « tombeau de la romaine » à tort car il est question à l’initial de « tombeau de la Grecque/Hellène ». Ce mausolée peut être tout simplement celui de la mythique Belle Hélène…Enfin bref, le « beau Romi » dans la tradition kabyle, c’est avant tout un Bel/Beau Héllène qui aurait pour attribut la « brillance » (jaune-or, blanc-argent, brillant-diamant, éclat du teint, couleur, etc.).
YEMMA GOURAYA
Nous somme clairement face à un culte très fort de Méditerranée, y compris chez nous. Ironie du sort, les colons français, des chrétiens modernes et « Romis » de dernière heure, vont involontairement perpétuer ce culte, sous une autre forme certes, mais avec le même sens au fond en fondant la jolie basilique de Notre-Dame d’Afrique sur les hauteurs d’Alger. Ce monument n’est en réalité qu’une réplique du Mausolée royal de Maurétanie dit « tombeau de la Chrétienne » à Tipasa, dans le pays frère Chenoua à l’ouest d’Alger. Et ce n’est pas tout, car cette basilique est aussi une réplique d’un sanctuaire emblématique pour les Kabyles, à fortiori pour les habitants de sa capitale Vgayeth-Bougie :
Yemma Gouraya ~ Notre-Dame d’Afrique
Et c’est sans appel ! Sur le fond, la basilique-de-la-Garde d’Alger (NDA) équivaut au sanctuaire de la sainte-patronne et gardienne des mers à Bougie (YG). Sur le forme, voyons pourquoi Afrique pourrait s’apparenter à Gouraya ou agour « lune, mois ». Le terme Africa serait, selon les sources romaines, un terme punique repris par les Romains, mais dont le sens reste flou (pays ?). J’ai une meilleure idée pour l’expliquer : la province dite « Africa » ou Afrique proconsulaire dite « romaine » pourrait être un indice que Afer en punique signifiait Romain (au sens large, y compris celui vu plus haut pour la Belle Hélène) à cette époque. En d’autres termes, Afer en punique serait « hellène » avant d’être « romain, chrétien, etc. » au sens de « beau, belliqueux, brillant, etc. » et serait en lien avec le culte de la lune. Peut-être que Afer a un lien avec le berbère moderne afalkay « le beau ». Ironie du sort, Afer d’Africa serait tout sauf noir : blanc-argent, jaune-or, brillant-diamant, coloré, illuminé. La « couleur » peut se trouver dans agour « la lune », d’ailleurs lawn « couleur » en masri/arabe est assez proche de Luna en latin. Au final, se dessine sans doute la plus belle des pistes pour aller chercher l’origine du nom Afer, Africa, mais aussi de comprendre les cultes méditerranéens anciens. Oui, Gouraya en kab pourrait être Aurore, mais chez nous on fait les choses sans fanatisme, donc pas de monuments :). On y reviendra.
LE BEL HELLENE
Ce « beau comme un dieu » a-Romi de la tradition kabyle renvoie à coup sûr à l’époque antique et serait une référence aux Héllènes, aux Grecs, à leur mythologie. A une divinité grecque plus exactement. Ce beau a-Romi est, et je l’ai souligné à plusieurs reprises sur l’ancien blog, est le plus sympa des dieux grecs. On n’aurait tort de faire dans le féminisme et de nous limiter à la Belle Héllène, car il devait y avoir une version masculine de cette histoire, il devait y avoir un Bel Héllène…
Le beau a-Romi dans la tradition kabyle, c’est simplement le dieu grec Hermès. Son nom ‘Ermes aurait donné a-Romi en kabyle bien avant l’avènement de l’époque romaine (Hermès devint Mercure chez les Romains). Pourtant, c’est bien le terme kabyle alemas « médian, moyen, du milieu, etc » que l’on devrait comparer à Hermès, dieu du commercer, entre autre, et messager des dieux (Hermès, c’est aussi un autre « janissaire » mais plus ancien, un autre « peseur » aussi). En fait, il n’y a pas de contradiction si l’on suppose que ce « milieu » est une balance (commerce) ou simplement la Méditerranée dite « mer blanche du milieu » en masri/arabe.
Cependant Hermès n'explique pas la relation entre beauté et guerre... Peut-être que ce beau a-Romi de la légende kabyle serait un "beau comme un dieu", non pas comme le dieu Hermès mais comme le dieu Apollon dieu archer, dieu de la guerre entre autre.
LES PEUPLES DE LA MER
Changeons de registre, et passons de beauté à cruauté. Eh oui, il le faut pour casser un autre cliché, une autre idée reçue. Cette fois c’est un « cliché officiel », une référence scientifique. Ibn Khaldoun et son « histoire des Berbères », vous connaissez ? C’est une référence pour les historiens… dont je ne fais pas partie :), et je laisse toujours de la place au doute quand à l’existence même de cet éminent historien. Grand bien m’en a pris car je peux avancer librement sans idées reçues. Ibn Khaldoun est justement l’auteur de la fameuse phrase « Un pays conquis par les arabes est bientôt ruiné », c’est lui qui nous a appris à détester les terribles Hillaliens qui auraient ravagé l’Afrique du Nord au 12ème siècle de notre ère. C’est qlq part une histoire qui nous arrange… Perso, je préfère une vérité qui dérange. Et cette vérité, la voici :
Hillaliens (Banu-Hillal) du 12 siècle après JC ~ Peuples de la mer du 12 siècle avant JC
Indice : hillal « croissant (de lune) » en arabe vs illel « la mer » en berbère.
C’est une histoire ancienne, voire même un mythe ancien qui date de l’époque de Ramsès III, Ibn Khaldoun et les autres auteurs de la Geste Hilalienne n’ont fait que traduire et donner une version arabe plus récente dans le temps. C’est un mythe à mon sens. Dans la tradition chrétienne, ces farouches et destructeurs « peuples de la mer » et « hillaliens » seraient, à certains égards, les « cavaliers de l’apocalypse ». Peut-être que le phénomène de l’éclipse solaire par la lune a-t-il donné naissance à ce mythe, d’ailleurs la date de la présumée destruction d’Ougarit par les peuples de la mer coïncide avec une éclipse du soleil par la lune au même moment dans cette région, et ça a été le cas le 21.01.-1192 (av JC) (chrono 16:00 sur cette vidéo). No comment !