Chacun de nous, exilés, a été confronté à ce vrai ou faux problème. Il peut « trahir » le métèque le mieux camouflé en autochtone et le plus assimilé s’il n’a pas pris soin de s’en défaire au préalable (s'il est un espion quoi :)). Je crois que l’artiste apatride l’a bien résumé :
Que l'on vive n'importe où
L'accent nous suit partout
comme une ombre doublée d'un miroir
On le porte comme un drapeau
Planté sur chaque mot
Depuis qu'on a pris le départ.
Perso, je suis très tolérant en matière de langues, mais je ne suis pas monsieur tout le monde du fait que je suis polyglotte vivant à l’étranger. Si j’ai des préférences, moi qui a le kabyle comme langue maternelle ? Oui, certainement. Sans doute pour l’italien (le toscan en réalité), une langue méditerranéenne, latine donc proche (je ne l’ai jamais apprise mais je la comprends un peu), et probablement pour son expressivité et sa générosité : l’italien joint le geste à la parole, ça veut tout dire ! Je suis tolérant envers toutes les langues, même quand j’entends en quantité l’allemand autour de moi, c’est comme si la télé s’était mise en marche (« encore un film de guerre ! » pour caricaturer), rien d’irritant pour mes oreilles déjà habituées à ces sons. Et comme l’ours ne m’a pas marché sur les oreilles, pour reprendre l’expression russe qui veut dire avoir l’oreille musicale, l’apprentissage d’une (nouvelle) langue étrangère ne m’a jamais posé de problèmes. Épouser l’accent de la nouvelle langue est une autre paire de manches car elle exige des efforts mécaniques permanents dans certains cas (le russe et les langues slaves, l’anglois dans une moindre mesure) ; de guerre lasse, lorsque notre entourage s’y fait aussi, on finit par laisser aller ce léger accent. Histoire de cultiver sa différence, de ne pas renoncer à ses origines ? Non, pas forcément car il n’y a pas de relation entre parler sans accent et renoncer à ses origines.
La motivation première de l’étranger qui s’efforce de parler sans accent, c’est de réussir dans un nouveau milieu. C’est valable pour un exilé d’un pays à un autre comme celui qui a changé de milieu (classe) dans le même pays avec pourtant la même langue. Moins on est mouton noir (ou corneille blanche pour le cas du russe), moins on est handicapé par rapport au « modèle » de telle ou telle société ou pays. Il y a, entre autres, le faciès, l’accoutrement, l’identité (patronyme) et l’accent comme critères de tri chez celui qui décide et comme handicaps à surmonter pour celui qui veut s’assimiler pour mieux réussir ou simplement pour qu’on lui fiche la paix. Mais il y a sans doute d’autres critères de réussite dans cette histoire : les compétences et le comportement de l’étranger parmi ses hôtes, enfin dans les pays vraiment civilisés ! L’étranger qui vient du sud où l’air est chaud, et qui se met à parler à haute voix dans une ville du nord, ça fait tourner des têtes et aiguiser les regards de l’autochtone habitué à l’air frais et au careless whisper ; y a que les ados qui se comportent de façon si irresponsable dans les sociétés du nord très disciplinées. C’est avant tout une question de politesse et de respect des règles de l’hospitalité que d’apprendre la langue et la manière correcte de parler cette langue des gens parmi lesquels on vit, votre léger accent dans ce cas aura l’air d’un grain de beauté sur votre personnalité qui requiert aussi une hygiène.
Pourtant, il faut reconnaître que les choses ne sont pas si simples – et oui, le monde n’est pas parfait ! – , car même un comportement irréprochable ne prémunit pas l’étranger de l’offense et de l’arbitraire. Il se trouvera toujours des autochtones tout le temps irrités et froissés dans leur (re)sentiments qui pointeront du doigt l’étranger et le jugeront sévèrement, même s’il est le seul à la ronde, ne serait-ce que pour délit d’accent ou pour dissonance de son patronyme. Juste pour le plaisir d’insulter ou pour le déposséder de sa réputation, ou carrément de ses biens comme dans certains pays présumés européens et civilisés, sachant l’étranger en position de faiblesse, une proie facile pour ces charognards. Comme quoi « l’Etat n’est pas la patrie » et il n’y a de civilisés que les gens, jamais les peuples (pas à 100% en tout cas). Ce type d’autochtones instinctivement ou volontairement craintifs de tout étranger est désigné par un terme toujours à la mode, un peu moins que « raciste » il est vrai : Xénophobes.
Voyons de près ce terme composé à la racine du grec xéno- de xenos « étranger ». La vraie signification de ce terme existe ailleurs, pas uniquement dans le grec. Pour faire simple, il y a altération d’un « géométrique » (MN-LR en kabyle), du N en L dans notre cas : Xénos « étranger » en grec ancien est l’Exilé en français que vous et moi aujourd’hui connaissons. Son équivalent nordaf ? GRB de l’arabe gharb « l’occident, le couchant », gharib « étrange » qui interfère avec le kabyle aghriv « exilé, émigré ». Bref, celui qui habite le couchant, le Maghrébin, l’Occidental est un Étranger, un Exilé, un Xénos en grec. De la même façon, le terme a-gumadh « la rive opposée » en kabyle moderne sous-entend « l’occident ou l’étranger », et tout laisse croire que c’est par référence à gum, gugem « Muet » en kabyle (synonyme : 3agun, agoune).
L’accent aussi est Occidental. Ce GRB de maghreb « couchant » est simplement le Carbone dont on a parlé dans le billet précédent. L’accent, l’occident riment avec la descente (du soleil), l’oxydation. Le terme grec oxys « acide » a servi pour désigner l’Oxygène, il serait sans doute comparable au kabyle xsi, khsi « éteint » (par rapport au jour, le soleil disparu/absent). L’Exil est acide, XL ou kisly, kislota « acide » en russe par exemple.
L’accent que traîne l’étranger est comme une brûlure ou une tache d’acide qui fait de lui la cible des autochtones xénophobes-alcalins qui lui reprochent que son pH ne soit pas neutre (7), autrement dit de parler leur langue avec un accent. Une tache de bronzage sur le poumon de l’étranger, une marque profonde sur laquelle focalisent les xénophobes-alcalins, surtout les borgnes :) Respire à pleins poumons, exilé, même le Soleil a des taches sous l'effet du magnétisme ou lors du passage d'une planète devant sa face, ex.Vénus formant ce « grain de beauté » sublime sur notre astre. Même le soleil a son trait d'exil, son accent, son grain de beauté, alors pourquoi se laisser faire reprocher sa façon de parler et de respirer ?..