La borne phénicienne
Il y a un pan de l'histoire de l'Afrique du Nord auquel je cherche la bonne réponse, loin des interprétations folkloriques ou des "blagues" des historiens officiels : la période punique ou phénicienne, Carthage tout simplement. Beaucoup de spécialistes parmi les historiens officiels nordafs contemporains, quasiment tous sous la botte de l'arabisation, osent affirmer que l'arabisation de l'Afrique du Nord survenue à l'ère des conquêtes musulmans, n'est qu'une suite logique de la sémitisation de l'Afrique du Nord. A mon avis, tout ça serait complètement faux, tout ce qui est arabe, langues et organisation, serait exactement le contraire de ce qu'était le phénicien. Il y aurait donc une opposition nette entre les deux, et la réalité du terrain ne fait que le confirmer. De ce fait, c'est le kabyle (berbère), voire l'argot arabe nordaf, et non pas l'arabe des vrais arabes d'Orient qui constituerait le meilleur support de ce qui reste des Phéniciens, des Puniques, une civilisation méditerranéenne faut-il le rappeler. L'explication de Byrsa ("peau"), une colline de Carthage, qui aura abouti à la notion de Bourse, avec le rapprochement fait dans le billet précédent entre Ty (Sour) au Levant et Mogador (eSsaouira) au couchant, constitue une avancée non négligeable dans ce travail d'investigation pour aller chercher des réponses rationnelles à l'histoire, aux légendes et mythes en lien avec Carthage et l'époque punique nordaf.
Elissa Didon. Elissa, la fondatrice de Carthage.
Voilà un mythe, une parabole érigée au rang de légénde, sinon d'histoire, à cause de Virgile.
Difficile d'avancer des hypothèses fiables sur l'origine étymologique du nom Elissa ; par contre, il est nettement plus aisé de lui trouver des liens de parenté dans des termes utilisés dans les langues nordafs surtout. C'est justement ce que nous allons essayer de faire dans ce billet.
Elissa. Didon. La fondatrice de Carthage.Qui n'a pas entendu parler de sa ruse avec "l'aire d'une peau de vache" pour le territoire acheté à Hiarbas ? Passons maintenant aux choses sérieuses.
DIDON. C'est un nom donné par les Romains, par Virgile plus exactement. A première vue, ce nom Didon peut être rapproché de 1. la lettre phénicienne Teth "roue, bouclier" qui rapelle à s'y méprendre l'hiéroglyphe égyptien de Plan, Ville (Cité) ci-dessus sur l'image ; 2. de Titan pour la mythologie grecque, on verra plus pourquoi un tel lien n'est pas à exclure.
ELISSA. La légende de la fondation de Carthage, le mythe d'Elissa nous racontent ce qu'est un Etat. Un Etat devant avoir d'abord des Frontières à l'intérieur desquelles s'exerce la Loi de cet Etat, le champ d'application de le même loi, des mêmes règles et principes, des mêmes systèmes de valeurs et de mesures, etc. C'est l'élément fondamentale dans l'interprétation des mythes et légendes liés à Carthage. Pour continuer, on devra faire un tour dans un champ kabyle :)
La propriété privé est sacrée chez les Kabyles, tha-ferka (taferka) "parcelle de terre", la propriété foncière y compris. Donc la délimitation et la démarcation des frontières entre voisins, riverains est d'une importance capitale pour éviter les conflits. Pas besoin d'arpenteur si les voisins décident de tracer de commun accord les frontières de leurs parcelles limitrophes. Et comment ça se passe ? Avant de poser a-frag (clôture, barrière) entre deux terrains voisins, on procède d'abord à la délimitation des frontières, des limites de chaque terrain : ce sont thilissa ou thilas, soit thalasth (talast) au singulier. Ces thilissa (thilas) sont en qlq sorte des bornes frontières posées aux quatre angles, sur le périmètre desquelles sera montée la clôture (afrag). C'est qlq part comparable à l'image que vous voyez ci-dessus avec les quatre cônes de signalisation de couleurs oranges (thilissa = bornes frontières) et le ruban (afrag) qui les relie pour démarquer une zone réservée, une zone de travaux dans le cas de cette illustration on ne peut plus explicite.
L'hypothèse de travail est en réalité simple : le nom d'Elissa est dans thalasth (talast), plur. thilissa/thilas, qui en kabyle désigne la frontière, la borne frontière, la limite de démarcation, les angles de l'aire de la parcelle de terre privée, du territoire réservé, etc. C'est aussi le Cône, le Coin - l'qanun (loi, droit canonique) et qen (attacher) en kab et qanun (loi) en masri/arabe ne seraient-ils pas issus de là ? - , l'Angle, probablement aussi la pierre angulaire ; pour l'exemple de Territoire (de l'Etat donc), on en aura quatre.
Dans le droit kabyle, au bon vieux temps, la maison avec sa cour, la propriété foncière, le domaine privé en général relevait de territoire sacré. La loi kab est on ne peut plus clair : le propriétaire a le droit de canarder tout motherfukcer qui oserait trépasser les frontières, dépasser les limites et violer la propriété privée. Le voleur est avant tout un violeur, de frontières et donc de la loi : ce sont thilissa/thilas (frontières, lois, règles) en kab. En d'autres mots, la proriété foncière par exemple, tha-ferka (taferka) "la parcelle de terre/territoire" est un territoire vierge tant qu'il n'a pas été violé par un intrus, voleur donc violeur qui a transgressé la loi, violé la frontière. Taferka, la parcelle de terre privée nous renvoie à la notion de territoire souverain, et la peau de boeuf ou de vache d'Elissa de Didon serait symboliserait probablement la Pucelle, la Vierge : le territoire Africa d'où Afrique tiendrait son origine de là, une Terre Vierge. Le lexique kabyle s'y prête d'ailleurs : afrag (clôture, barrière) - qui serait l'hymen en qlq sorte - vs felag; feleq (dépuceler, voire violer). Byrsa, la colline de Carthage, ayant donné la Bourse, est associée à la peau (de boeuf ou de chevre), une peau tendue probablement, un hymen-frontière inviolable ?
Ici, on devrait rappeler que le Soi en kabyle est dit imen, le rapprochement avec hymen ne serait pas superflu à mon sens. La personne en français devrait être rapprochée de porcelaine, fragile donc inviolable ; la propriété (ce qui est à Soi donc) est avant tout une question de propreté, de clarté, de netteté, limpidité, transparence, de clean quoi !
NB: On reviendra sur ce sujet, mais déjà on peut y supposer que le mythe d'Elissa pourrait avoir une relation avec le mythe fondateur kabyle (berbère) d'Anzar, et surtout de sa fiancée th-isly-th (tislyt) l'arc-en-ciel, d'une part ; et Byrsa pourrait être en lien avec 3ars (noces), 3aroussa (fiancée) en masri/arabe, voire Eros en grec, arrous (escargot, pour sa coquille ?) en kab. On y reviendra.
Elissa (Didon) en lien donc avec thalasth (talast), thilisa/thilas en kab. Ce terme thilissa (frontières, limites, lois/règles) peut être une frontière naturelle quand il s'agit de rivière ou fleuve, de mer ou d'océan : les rives, les berges. Qui de thalassa (mer) en grec alors ?.. Ce même terme kabyle thalasth (talast) aurait donné un terme économique, le verbe tsalas, ttalas (sal en argot arabe nordaf) "avoir un droit sur qlq'un" (qui vous est redevable). On dit tsalas'egh ak pour "tu me dois" mais sous forme de "je possède un droit de propriété/une obligation sur toi". Ainsi, thalast (frontière, loi/règle) devient, financièrement, en bourse justement, une Obligation, et plus largement, un devoir, une valeur, etc.
Vous ne savez pas lire le cyrillique ? Pas graven c'est marqué VLAST' qui signifie "'(le) pouvoir" en russe. Talast en kabyle est un terme féminin classique avec deux T comme affixes, mais en déduire le masculin n'est pas chose facile, car souvent le T en préfixe peut avoir un sens, une forme altérée, dans notre cas précis, il serait à la place du V latin, IE :
talast en kabyle vs vlast' en russe, vlad en slaves, valeo en latin
C'est peut-être une peu osé, mais le terme étranger qui serait le plus aisément comparable au terme kabyle thalast (talast) "frontière/limite, loi/règle" serait le russe Vlast' (pouvoir), puis Volost' (district, canton : unité territoriale donc) anciennement puis Oblast' (région, un peu comme wilaya en masri/arabe) actuellement ; le même terme est dans Vladet' (posséder), vladyka (seigneur), Vlad de Vladimir, puis en tchèque Vlada (gouvernement). Ce lien entre le kab et les langues slaves pourrait s'expliquer par un intermédiaire latin : Valeo pour "puissance, falloir, valoir, valeur, etc.
Si Didon, Elissa était une slave, on lui aurait donné le nom (de fille) Vlasta ! Et d'une certaine façon, la divinité slave Velès serait comparable à Atlas berbère nordaf.
Difficile de parler des Phéniciens sans aborder la mer, la navigation ! L'idée sera développée ultérieurement, sans doute que l'hiéroglyphe urbain égyptien Niwt (en haut de la page) et la roue-bouclier phénicienne Teth seraient comparables à un volant, guidon, gouvernail pour symboliser la Cité-Etat. L'explication du nom d'Elissa, la fondatrice de Carthage, par thalasth (talast), la frontière et loi kabyle est une percée dans ce domaine punique/phénicien. Seulement voilà, il faut nécessairement trouvers des échos à cette Elissa en Afrique du Nord contemporaine, en toponymie par exemple. Le terme Thalla (source, fontaine) à usage toponymique pourrait faire figure de bon candidat pour être Elissa, et thalast (frontière, borne) ; le titre Lalla, utilisé en kabyle comme chez les maures arabisés (Maroc) pour désigner une dame, Lady ou une princesse, pourrait être aussi un candidat au rapprochement avec Elissa, et les noms et toponymes commençant par Lalla, par ex. Lalla Fadhma N'Soumeur, la Jeanne-d'Arc kabyle, ou Lalla Khedidja (ou Lalla Khelidja). Et ça, ça demande du temps et beaucoup de travail.
Je disais plus haut que le nom Didon pouvait être rapproché de Titan. Etrangement, la langue kabyle et le masri/arabe possèdent des interférences souvent sur la forme, rarement sur le fond. Prenons le cas de Bab (porte) en arabe. En toponymie kabyle (berbère), notre équivalent du Bab masri/arabe serait le kabyle (berbère) Ath, Aït, ayeth ; mais en réalité, la racine de ce terme Bab à priori masri/arabe va se retrouver en kabyle dans le verbe Bib (porter sur le dos), voir 3abi (charger), termes inexistants en masri/arabe. Porte et porter en fr./romanes c'est de la même famille. Il s'agirait probablement non pas de la porte mais de l'Arc ou de la voûte au-dessus de l'ouverture (la porte) qui porte et distribue les charges. C'est là que l'on pense au porteur du monde, Atlas, justement lié à l'Afrique du Nord. Et c'est un Titan. La chaîne des Bibans en Kabylie serait d'une certaine façon celle des Titans : biban pluriel de bab (porte) en masri/arabe ou bien de bib (porter sur le dos, sur soi) en kabyle qui serait plus compatible avec le rôle de titan, d'Atlas.
On retiendra qu'Elissa Didon, longtemps abandonnée, a enfin refait surface pour nous donner les tous premiers éléments de réponse à l'énigme punique-phénicienne, pour nous éclairer sur les notions d'Etat, de Fondations d'Etat, de Lois et Frontières, etc. Et ce n'est qu'un début, j'espère. A prochainement.