DEM-1 : La Figue Turque
Par moments, on se prend à rêver d’une machine à remonter le temps. Vers le passé comme vers le futur. D’abord, vers le passé, histoire de comprendre toutes ces légendes que l’on nous raconte, genre les « figues de Carthage » ou la « pomme de Chine » (orange). Le présent billet entame un cycle de voyages dans le passé en surfant sur les mots, et son appellation DEM repose sur le toponyme Draa-El-Mizan en Kabylie.
D’après les sources officielles, non-kabyles donc, ce toponyme à consonance arabe Draa-El-Mizan (DEM), traduit comme « fléau de balance », aurait été donné à ce lieu kabyle par les Turcs à l’époque médiévale ces Turcs (Régence d'Alger) y bâtirent leur Bordj (fort, citadelle). Maintenant faisons le ménage surtout que nous sommes chez-nous en Kabylie :). Donc on reprend ces indices de la version (légende) officielle concernant DEM mais sans l’interprétation que l’on veut nous inculquer : DEM, « turcs », bordj (fort).
On va couper la poire en deux, càd DEM en D et M, et même si le plus beau morceau se trouve dans le nom (M, mizan, l’mizan « balance ») comme on le verra dans les prochains billets, c’est par le préfixe D (draa « bras, avant-bras, fléau (de balance) ») qu’il faut commencer. Ce terme supposé masri/arabe dra3 « bras, avant-bras » – terme utilisé en kab au sens « draconien » pour dire s-dra « avec force, de force, contre gré » qui rappelle sideros (fer) en grec donc la force – est remplaçable par le terme kabyle ighil « avant-bras, bras, coudée, force », mais l’intérêt est ailleurs. Le toponyme Draa-el-Mizan (DEM) devrait avoir un ou des sens précis et devrait donc contenir, entre autres, des indices hydriques, ce dont je suis sûr à 100%. En d’autres termes, le Draa « bras » dans ce nom de lieu kabyle serait d’une certaine façon comparable au grec hydra, donc au bras d’hydre ou bras d’un fleuve, voire même endroit où le fleuve forme un coude, ou carrément le delta du fleuve. C’est une logique valable lorsque grand fleuve il y a (le Nil pour l’Egypte que je comparerais volontiers au kabyle ighil de coudée, bras ou avant bras), ce qui n’est pas le cas de la Kabylie et de DEM particulièrement, mais la vocation agricole (céréalière ou autre) du lieu ne laisse guère de doutes. Cependant la comparaison de systèmes toponymiques kabyle et égyptien ancien serait très probable, la consonance arabe ou la présence turque ne sont que des dérivés de ce qui est d’abord égyptien...
Maintenant une version difficile à démontrer mais très intéressante surtout qu’elle nous permet de mettre à l’épreuve l’indice turc dans le nom de DEM. En effet, le Dra3 « bras » de DEM pourrait aussi avoir un lien (ne serait-ce que par sa proximité phonétique + contexte approprié) avec un autre terme kabyle, à la seule différence que c’est un L au lieu d’un R pour le kabyle : Dela3 « pastèque (Baie en général ?) », le melon étant dit fequs. Le terme équivalent du melon d’eau (pastèque) en masri/arabe est batikh et en turc c’est karpuz, mais c’est le terme bakh’tcha « melonnière » qui nous intéresse dans le turc. Pourquoi ? Ben tout simplement parce qu’il est attesté dans des toponymes turcophones (ex. Bakhtchi-saray - que j'ai visité :) - soit littéralement « melon-sérail ») et qu’il est phonétiquement très proche, d’abord, du terme kabyle vaxsis, tha-vakhsis-th « la figue » (ficus en latin) et, ensuite, du terme turc Bakchich « pourboire » devenu synonyme de pot de vin en occident. Sans cette connotation péjorative, la figue serait plus synonyme de générosité, une offrande, voire même un cadeau. Ainsi, nous devons maintenant regarder autrement les légendaires « figues de Carthage » exhibées par Caton pour convaincre le sénat de détruire Carthage (Delenda Carthago), une légende pour enfants sans doute ; mais surtout on devrait plus penser à la « figue turque », pas au sens de bakchich, mais au sens « draconien » (draa dans le toponyme DEM) et martial (armée), càd que la « figue turque » symboliserait le « joug turc » ou protectorat turc ottoman comme en Nordaf médiévale. A vrai dire, le Turc devrait être placé sous le signe du Dracon apparemment...
Un autre élément « turc » dans cette histoire, en relation avec le « bordj » (fort) construit à DEM au 16ème siècle. J’insiste : il n’y pas d’impact direct arabe et turc sur le kabyle, toutes les interférences existantes en Kabylie et dans la langue kabyle viennent ou ont transité par l’Egypte et l’égyptien. La trace turque est encore plus récente que la trace arabe (masri/arabe), et l’on doit regarder l’influence turque (en toponymie par exemple) comme une influence turque-égyptienne. Pour faire court, c’est la dynastie égyptienne antérieure aux Turcs ottomans qui attirent notre curiosité : les Mamelouks ou les Circassiens. NB : Pour info, le lien étymologique entre les noms « mamelouk » et « circassien » avec (1) la cerise et (2) le sarassin serait indéniable à mon avis. En plus, la désignation de cette dynastie ne ferait pas référence à une origine ethnique (tchekesse), elle s’inscrirait dans la tradition égyptienne ancienne. Les Circasssiens d’Egypte donc. Les mamelouks bahrites (du fleuve Nil), puis les mamelouks burjites (du bordj « fort, citadelle »). C’est cette opposition qui nous intéresse dans notre cas de figure : DEM devrait avoir un antonyme, Draa-el-Mizan (DEM) serait « continental », à l’intérieure du pays, tandis que son opposé serait sur un fleuve ou, en cas de manque de celui-ci, sur mer, et dans notre cas, c’est Alger, peut-être bien Bordj-el-Bahri ou le Fort turc (bordj) de Tamentfoust, le supposé antonyme ou l’opposé de DEM, et les deux toponymes datent d’à peu près la même époque. Peut-être serait-ce une baie (pastèque par ex.) ou une figue fraîche, y compris la figue de barbarie (karmus en kab), le premier pas vers l'explication de notre toponyme kabyle DEM.
Ainsi se termine cette introduction mi-figue mi-raisin au cycle consacré au toponyme kabyle DEM.
A suivre…