L’Âge du Fer
La métaphore. La tradition kabyle fait usage de la fable bien plus souvent, même de nos jours, que les cultures des autres peuples. Que signifie cette particularité kabyle ? Est-ce un indice de retard, un handicap donc sur les autres peuples ayant une langue « préméditée » càd une langue écrite, scientifique et épanouie ? Ou est-ce, au contraire, un avantage, un trait de caractère ou plutôt une prédisposition particulière ? Je penche plutôt du côté de la deuxième option pour la raison que voici.
Quand un éminent scientifique essaye d’expliquer au grand public un phénomène complexe de la nature, relevant de l’astrophysique par exemple, il a recours à la vulgarisation, le plus souvent à la comparaison ou à la représentation, à la schématisation (une image, une figure donc) simplifiée pour être compris, et ainsi ramener de l’échelle scientifique difficile à saisir à l’échelle humaine plus accessible aux non initiés. Idem, quand on apporte un exemple ou l’on fait un dessin pour qlq’un qui ne comprend les mots qu’on lui dit ). C’est une métaphore à l’envers, si j’ose dire, les mots sont souvent cachés, leur sens plus exactement, tandis qu’un schéma, des hiéroglyphes sont avant tout une image plus facile à saisir. NB : j’aurais aimé disserter de la différence entre la lettre et la figure, entre le sen littéral et le sens figuré, mais on laissera ça pour une autre fois.
Autre exemple, l’architecte ou le designer a recours à divers plans (d’ensemble, coupes, etc.), aux maquettes (miniature) et à la modélisation (une simulation) avant pour avoir une vue d’ensemble de la structure qui sera plus tard construite en grandeur nature. Il en va de même pour le cartographe qui nous dessine la Terre par exemple à une échelle conventionnelle (1/5000 par ex.) qui permet sa visualisation dans l’ensemble. L’échelle est une conversion du naturel vers l’humain en termes de grandeur, l’inverse étant aussi vrai. Entre la Nature et l’Humain, il y a une échelle, une passerelle imaginaire, l’intelligence vraisemblablement. Sans cette passerelle artificielle, la nature resterait à l’état neutre, inanimée, immobilisée, donc incomprise par l’homme. Pour comprendre son monde et dompter la nature, pour passer de l’inconnu au familier, l’homme a besoin de l’abstrait, un outil que lui fournit son cerveau. L’omniprésence de l’imaginaire dans telle ou telle culture (les fables dans la tradition kab par ex.) serait donc un signe encourageant :)
Il y a la fable. Il y a la métaphore, une parabole en fait. Les maths, à commencer par la géométrie, ne sont-elles pas une métaphore d’ailleurs ? Les chiffres, qu’on sait abstraits, ne relèvent-ils pas du domaine spirituel ? On peut se demander si l’on peut dater de façon objective (donc loin de l’« histoire officielle ») l’apparition des chiffres, de la géométrie, des maths (formules, fonctions, équations, graphiques, etc.) en se basant sur des indices indirects ayant rapport à la spiritualité et au patrimoine immatériel (langue, mythologie, religion, etc.) de telle ou telle culture ou à des indices plus palpables du patrimoine matériel de tel ou tel peuple indiquant la richesse de sa créativité, de ses œuvres, ses écritures, de son artisanat, etc. Plus le patrimoine immatériel est riche, plus les bénéficiaires sont disposés à telle ou telle science, les maths par exemple ?
Nature, neutre : voilà des mots que je n’arrive pas à traduire en kab, sans doute qu’ils existent et il faudra les trouver. On va s’assoir, tiens ! Revoici la table (imaginaire) kabyle. On ramène notre nature, ou tout autre phénomène de la nature non élucidé, à de l’immobilier ) Une table immobile est inerte, de la nature morte en qlq sorte. Pour insuffler la vie à une table inerte, il faut de l’animation : s’assoir autour, la faire bouger, basculer, en lui coupant un pied par exemple ) Il en va de même pour un problème qui se pose, pour un nouvel objet avec lequel on doit se familiariser, etc. A partir du moment où la table devient mobile, elle bouge, elle boite, et devient donc une bascule : ne serait-pas une jolie métaphore de la vie ?
Le coin boiteux d’une table qui bouge nous donne le kawan, aka3wan « le boiteux » en kab, le plus souvent le boiteux est associé à la forge dans plusieurs cultures. Ce dernier n’est d’abord pas naturel (table immobilisée) mais « artificiel », et ensuite infirme, handicapé, « anormal ». Tous les noms d’infirmes ou supposés comme tels vont découler de cette table boiteuse qui bouge : adherghal (aveugle), a3agun, agugam (muet), a3azug (sourd) qui sont aussi des patronymes : Agoune, Azzoug, respectivement). Je pense que ce seraient aussi des noms de divinités, de… lettres de l’alphabet, de notions de géométrie, de chiffres, de noms de planètes, etc.
Le coin (angle) ou pied boiteux de la table va nous donner une association avec la sidérurgie et une relation que je suppose très probable entre l’apparition de l’alphabet et l’apparition de tel ou tel métal, le fer par exemple. Notre boiteux serait un forgeron, un maréchal-ferrant. C’est tout simplement la relation entre le fer à cheval et la lettre Gamma (qui a donne C, G en latin ; je n’exclue pas le U tout comme L ou V ou que ce soit une consonne en général), c’est peut-être celle du « muet » (agugam, a3agun) en kab, peut-être un indice, une lettre indiquant la compréhension du magnétisme, qui sait. On peut supposer que les désignations d’un être « imparfait » (aveugle (0 yeux – pair) ou borgne (1 seul œil – impair), manchot (1 bras), etc.) serviraient aussi à désigner autre chose, des divinités par exemple, et on se demande si le monothéisme ne pourrait pas y trouver son explication ).
Par ailleurs, ce boiteux (a-kawan) serait peut-être l’explication du chiffre yiwen (un, 1) en kabyle qui serait sorti des forges, et le pluriel de yiwen (un) serait peut-être inyen (trépied en métal posé sur le foyer de feu), comparable au trident et même au fer à cheval qui symboliserait l’union ? Et le « terrible Akli » des mythes kabyles dit Akli uzzal (uzzal pouvant être midi tapante/soleil de plomb à la verticale ou bien le fer : le fer apparenté à la verticale/perpendiculaire en géométrie ?) serait peut-être le chiffre 1. On est, je rappelle, toujours dans le domaine de l’hypothèse. Une table immobilisée est à la table-bascule ce que serait le nombre pair à l’impair, ou un nombre entier à un nombre irrationnel, je suppose. Une table qui bouge fléchit forcément, donc s’incline : on devrait remonter le sens de « niveau » grâce à cette table donc.
Une curieuse parenthèse maintenant. Je suppose que le terme qwa utilisé en kabyle pour désigner surtout une grosse quantité/affluence voire une haute densité (y-eqwa l’ghachi « foule nombreuse ») est lié au terme qawa (force) en masri-arabe, d’un côté, et au terme latin acqua (eau), de l’autre. En allant plus loin, on trouve QWB dans aquwbani (gros) pour le bide qui dépasse les limites de l’« idéal », puis on comprend qu’il s’agit de la forme tha-qubets (coupole, dôme) en kab, quba(t) en masri-arabe, et tout simplement la forme d’une goutte d’eau.
Mais comment devrait-on désigner la nature en kab assis que nous sommes à la table kabyle ? La réponse n’est pas simple à trouver… Peut-être faut-il se mettre dans la peau ou plutôt dans le nom de menuisier afin de trouver une petite piste qui relierait la nature au menuisier (ou tout autre créateur d’une forme) dit nedjar en masri-arabe, repris parfois en kab et surtout proche phonétiquement du nom de divinité Anzar. Il est à peu près sûr que nous sommes dans un raisonnement religieux et non pas philosophique. Notre table immobile, un objet inanimé, serait le corps, la chair ou simplement de la matière ; notre table boiteuse ou en mouvement est un corps animé, une matière métamorphosée. Ne serait-ce pas là l’histoire de la découverte des métaux, de la sidérurgie, et par la même occasion, l’invention des divinités, voire de Dieu, l’invention des écritures ?
Dieu créa l’homme à son image, nous disent les camarades religieux. Logiquement, l’on déduit que l’homme est l’allégorie de Dieu. Une allégorie divine apparue probablement durant l’ère des métamorphoses, à l’âge du fer. M’est avis que le monothéisme serait apparu ou se serait imposé à cette époque des métallos (forgerons et menuisiers, pourquoi pas), succédant au polythéisme de l'âge de pierre, qui aurait été mis en doute ou révolu depuis l’âge du bronze, une période intermédiaire. En Méditerranée, l'âge du Dieu unique aurait commencé vers 1100 av. J.-C. Je suis curieux de savoir ce que ça donnerait si l’on transposait cette logique « métallurgique » au panthéon de l’Egypte ancienne, plus précisément à la Chronologie des pharaons de l’Egypte antique et, le cas échéant, quelle divinité égyptienne ou quel pharaon ferait office de maréchal-ferrant avec sa monnaie unique, en métal naturellement.
Pour boucler ce billet, je dirais que la fable ou la métaphore, omniprésente dans la culture kabyle, serait plutôt bon signe, car c'est un marqueur de monothéisme et de métallos qui témoignerait de notre prédisposition à assimiler plus facilement l'abstrait, donc à être forts en maths comme en philo, par exemple, à accepter les métamorphoses, les changements, l'évolution. L'interpétation du monde au pied de la lettre nous est étrangère; le conservatisme, ou plutôt le figisme serait donc contre-nature pour les Kabs. A bon entendeur !